Remontons à l’année 2000. Alex Anthopoulos a 23 ans. Il travaille alors pour l’entreprise familiale de chauffage et ventilation mise sur pied par son père, mort deux ans plus tôt. Un matin, il ouvre les yeux. « Est-ce que ce sera ça, ma vie, pour les 40 prochaines années ? »

Un peu plus de 20 ans plus tard, voilà que le Montréalais est directeur général et président des opérations baseball d’une équipe qui s’apprête à prendre part à la Série mondiale.

Au moment d’appeler La Presse, Anthopoulos est en route vers l’aéroport, d’où il va s’envoler vers Houston pour le premier match de ses Braves face aux Astros, qui aura lieu mardi soir. Il a du temps et il a le goût de jaser.

Alex Anthopoulos n’a jamais pensé, même une seconde, travailler un jour dans le monde du sport. « Tout ce que j’étais, à l’époque, c’était un fan. »

Ce matin-là de l’année 2000, donc, il prend une décision. Celle qui changera sa vie. Celle de trouver un emploi qui le passionne, qui lui donne envie de sortir du lit le matin.

« J’ai vécu la vie [qui consiste à] travailler de 9 h à 17 h. J’avais pris des cours de soir au Collège Vanier pour en apprendre plus sur la ventilation, sur la business. Mais je détestais ça », raconte-t-il avec émotion.

« À ce moment de ma vie, j’ai juste réalisé que je ne pouvais pas faire quelque chose qui ne m’amenait pas de plaisir, continue-t-il. […] Je me fous de combien je suis payé, je ne veux seulement pas me lever le matin sans être heureux d’aller au travail. J’étais déterminé à pourchasser le baseball dream. »

Reste que dans la vie, un rêve, c’est bien beau, mais tout le monde a besoin d’une première chance. C’est encore plus vrai pour un Québécois de 23 ans qui tente de faire sa place dans le monde du baseball majeur au début des années 2000. En quête d’un stage, il passe de nombreux appels aux équipes de la MLB. Il est prêt à faire n’importe quelle tâche, bénévolement s’il le faut.

Gros bémol : comme il est canadien, il n’arrive pas à obtenir un visa pour aller travailler aux États-Unis. Les options sont donc… limitées.

« C’est beaucoup plus restrictif et difficile pour un Canadien d’être embauché dans un club des États-Unis. […] J’avais littéralement 2 chances sur 30 équipes de faire ma place dans l’industrie : les Blue Jays et les Expos. »

Alex Anthopoulos trouve finalement cette première occasion sous son nez, à Montréal. Chez les Expos. Son job, non rémunéré : répondre au courrier des fans.

L’année suivante, il se voit offrir une opportunité de collaborer dans une école de baseball en Floride, où il apprend les rudiments du recrutement. En 2002, il est nommé au poste de coordonnateur au recrutement à temps plein.

« C’était tellement passionnant, se souvient-il. Je rentrais à la maison et je regardais des vidéos de choix au repêchage, de joueurs collégiaux et universitaires. Je ne faisais pas ça en me disant que ça allait m’aider à atteindre le prochain échelon. Je le faisais par amour pour le sport, par passion. Je n’en avais jamais assez. »

« Je voulais être dans le bureau chaque minute de chaque jour. »

Tous les matins, il se lève avec le sourire à l’idée d’aller travailler. Exactement comme il l’avait souhaité en quittant l’entreprise familiale deux ans plus tôt.

De Toronto à Atlanta

PHOTO DARREN CALABRESE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Alex Anthopoulos, en 2015

À la fin de la saison 2003, Alex Anthopoulos quitte les Expos, où il était désormais adjoint au directeur du recrutement. Il se joint à l’autre équipe canadienne, les Blue Jays de Toronto, comme coordonnateur au recrutement.

« Je pensais que je serais coordonnateur au recrutement pour 10 ou 20 ans, que ce serait mon chemin. J’étais heureux, je faisais quelque chose que j’aimais. Je n’ai jamais pensé à monter plus haut. »

Du moins jusqu’à ce jour de 2006 où le directeur général J. P. Ricciardi le convoque à son bureau pour lui offrir le poste d’adjoint au directeur général.

« À l’époque, je lui ai dit : “Je suis sous le choc, je ne pensais même pas que tu prêtais attention à ce que je faisais” », relate Anthopoulos.

Ce n’est que deux ou trois ans plus tard que le Montréalais réalise, pour la première fois de sa vie, qu’il pourrait un jour être directeur général du club de la MLB. « C’est le seul moment de tout mon parcours où l’idée d’être un jour directeur général m’a vraiment traversé l’esprit », dit-il.

Alex Anthopoulos a passé six ans, de 2009 à 2015, à titre de directeur général des Blue Jays. Il a ensuite fait le saut aux États-Unis pour la première fois, à titre de vice-président des opérations baseball des Dodgers de Los Angeles en 2016 et 2017, avant d’être embauché comme directeur général par les Braves d’Atlanta.

Ce qui nous amène au 23 octobre dernier, alors que les Braves ont défait les Dodgers en six matchs pour accéder à la Série mondiale pour la première fois depuis 1999.

C’est une première pour Alex Anthopoulos en 10 ans comme directeur général dans le baseball majeur.

Au bout du fil, l’homme de 44 ans dégage une humilité rafraîchissante. Quand on lui demande comment il se sent, il y va d’un « évidemment, je suis heureux » avant de dévier vers les partisans des Braves.

« De voir la joie des gens de la communauté d’Atlanta… À quel point ils étaient heureux. C’est la partie la plus gratifiante. Mes voisins dans la rue me disent tout le bonheur que cette équipe leur apporte. »

Anthopoulos a pris son temps, ces quatre dernières années. En arrivant avec les Braves, il voulait écouter le plus possible. Rassembler l’information. Apprendre à connaître l’organisation et les gens qui en font partie.

« Je sais que ça semble simple, mais je voulais prendre de bonnes décisions de baseball chaque année, explique-t-il. Avec un peu de chance, si je prends de bonnes décisions, les victoires vont venir. »

Comme de fait, il a multiplié les bonnes décisions cette saison. Et les victoires sont venues.

Sauf qu’il en manque encore quatre.